• Henri Ceccaldi, alias Diogène corse

    Henri Ceccaldi, alias Diogène corseJournaliste corse polémiste, Henri Ceccaldi signait ses articles sous le pseudonyme de Diogène. Il le faisait sans agressivité. Il connaissait la valeur des mots. C’est aussi pour cela qu’on le surnommait " Henri la plume " au sein d’un trio d’amis qui comptait Henri le pinceau et Henri la Pendule. En quelques phrases et souvent en versifiant, il fustigeait inlassablement les fossoyeurs de la Corse. Il parlait de la désertification et de l’incurie du pouvoir central, mais aussi des bassesses humaines dont la toponymie n’écarte pas l’Île.

    Mathieu, Henri, Antoine Ceccaldi (son premier prénom était Mathieu) est né le 25 avril 1912 à Evisa. Il était l’héritier direct d’une littérature orale. Son père était poète ainsi que sa mère qui savait faire chanter les mots. Elle survécut à son mari et ses trois enfants. Elle improvisait des Chjam’è rispondi avec ses morts toujours présents dans sa pensée. Elle n’a pas eu à les rejoindre car elle était tous les jours avec eux.

    Henri Ceccaldi était très connu sous le pseudonyme de Diogène et dans ses billets quotidiens, il croquait, avec un bel esprit, les problèmes insulaires. Il a écrit sous d’autres pseudonymes : "Ad Jaceo" "L’écouteur " et "Mathieu Henri", mais aussi sous sa véritable identité. Après la Résistance, il avait débuté comme rédacteur en chef du journal " La quatrième République ". Lorsque, en dernier lieu, il a occupé les fonctions de rédacteur à la Direction des services agricoles de la Corse, Diogène a continué à alimenter sa chronique dans le journal corse " L’informateur ".

    Henri Ceccaldi s’était impliqué dans la culture corse. En 1951, il avait créé l’association culturelle et sportive " Altitudes ". En Août 1957, dans son village " Evisa ", où résidait le poète Minicale et Mathieu Ceccaldi ( Dans les années 1960,, auteur d’un dictionnaire de la " lingua nostrale " et d’un anthologie de la littérature corse*), sont venus des quatre coins de la Corse les poètes et improvisateurs célèbres comme Carulu Giovoni, Leca du u Furcatu, Julien Mattei de Croce, Simonu d’Aulle, Dominique Marfisi ( auteur-compositeur d’U caporale, Ma Cosa c’è ) , Sampetracciu, U Merlu d’Aiacciu, Iannettu Nottini ( auteur des " Ficca-Ficca " et " A Pulitica ") , Cesaru di l’Aquale… L’actrice Madeleine Robinson et l’acteur Daniel Ceccaldi participaient à ce festival qui fut un des derniers à rassembler les poètes et les représentants de la culture orale corse.

    Si des intellectuels insulaires sont à l’origine du Riacquistu dans les années 1970, il ne faudrait pas oublier ceux qui les ont précédés dans cette voie et, par ses initiatives, Henri Ceccaldi en fait partie. La plupart sont morts. Ils étaient présents à ce premier festival de la langue et de la chanson corse, qui a donné lieu à des débats sur la préservation de la " lingua nostrale " et qui s’est renouvelé jusqu’en 1959. Il aura fallu 26 ans pour arriver, en 1973, à ce qu’ils souhaitaient déjà : l’enseignement du corse autorisé par la loi Deixonne, déjà votée en 1951 en faveur d’autres langues dites régionales.

    Henri Ceccaldi était le Président du comité de réception de ce grand festival de la langue et de la chanson corses. Le 5 septembre 1957, dans un entretien avec Pascal Bontempi, il avait le projet d’organiser un festival d’art dramatique méditerranéen. Il déclarait alors : " La Corse, hélas ! manque de spectacles de qualité (les villages surtout). Sur le continent, toutes les villes de province ont la chance d’accueillir les grandes tournées théâtrales ; elles ont ainsi l’occasion d’applaudir nos prestigieuses vedettes de la scène et de l’écran. Ces mêmes comédiens ne viennent en Corse que pour y passer leurs vacances. Or, il est admis que les populations de l’ile savent apprécier, avec une compréhension toute latine d’ailleurs, les manifestations artistiques de valeur réelle.  Il est l’auteur d’une farce électorale " U votu di Cirottu " (Le vote de l’électeur) qui a été créée le 29 mai 1956 à l’Opera de Marseille par le groupe folklorique " A sirinnata ajaccina ", puis fut rejouée en Corse.

    Comme d’autres Corses qui ont pourtant œuvré pour l’île, Henri Ceccaldi, alias Diogène, ne figure pas dans le dictionnaire historique de la Corse édité chez Albiana sous la direction d’Antoine Laurent Serpentini. Des oublis sans doute. La preuve que ceux qui prennent en charge la mémoire d’un peuple ne le font pas de façon exhaustive. Henri Ceccaldi pourrait être un exemple pour les jeunes journalistes insulaires. Diogène, sans décoration mais avec sagesse, était un opposant permanent. Il dénonçait, avec ses mots scandés, les petits et les grands scandales insulaires. " Un chroniqueur plein d’esprit, alliant la finesse du détail à un robuste bon sens " écrivait un confrère dans une épitaphe. Certains de ses articles publiés dans l’informateur, ont encore une résonance dans l’actualité corse et mériteraient d’être à nouveau publiés. Nous livrons quelques bribes du talent d’Henri la plume. Il savait que les mots sont à la fois des cadeaux et des armes.

    Henri Ceccaldi est décédé à l’âge de 49 ans. Après sa mort, les épitaphes furent élogieuses. " C’était un homme qui avait son panache et son originalité qui le distinguait du commun…. Massif, solide comme un roc. Une paisible gravité reposait sur son visage, cette gravité qui vient d’une vie intérieure intense et d’un travail spirituel incessant. Derrière les lunettes, d’étranges prunelles, larges et polies comme des cailloux, ne laissaient rien transparaître. Il parle d’une voix douce avec l’assurance que donne une longue habitude du maniement des idées. C’était aussi un écrivain plein de fantaisie et de verve, capable d’une soudaine tendresse pour une injustice réparée, mais opposant systématique contre la mégalomanie, l’inconscience et les forbans qui se parent du masque du patriotisme et de la vertu pour mieux vous persécuter et vous démolir. "

    Son identité, elle se trouve d’abord dans son nom " Ceccaldi " qui ouvre à une généalogie et renvoie à un groupe, à une lignée, au village d’Evisa et à une ethnie, c’est-à-dire à un ensemble d’individus liés par une communauté de langue et de culture ( et non pas à des caractères anatomiques). Ces critères ont dû le pousser à s’intéresser d’abord à cette culture corse et permettre sans doute d’identifier des signes culturels dans sa façon de penser, dans son comportement et dans ses rapports avec les autres. Est-ce dire qu’être corse, pour lui, c’était correspondre à un modèle ? Nullement ! Henri Ceccaldi avait une forte personnalité. Tous ceux qui l’ont connu en témoignent.

    Lorsque le journal " L’informateur " fit peau neuve pour devenir l’hebdomadaire " L’informateur corse ", Henri Ceccaldi fut cité parmi les grands absents aux côtés d’autres disparus qui ont participé à la vie du journal. L’informateur corse existe, comme le Petit Bastiais et le Journal de la Corse (doyen des journaux corses puisque sa création remonte à 1817).

    Henri Ceccaldi a toujours écrit comme l’exigeait son origine. A l’expression " Corse attitude " des chasseurs de têtes pour l’emploi, nous préférons, en ce qui le concerne, celle de " corse a(l)titude " (Altitude comme l’association Altitudes qu’il avait créée) car Diogène savait en toute chose prendre de la hauteur. Il faisait preuve d’une réflexion marquée au " coin " du bon sens. Il savait aussi prendre de la distance avec la dramaturgie corse, en jouant avec talent d’un autre atavisme : l’humour. Il s’agit d’un humour qui sauve du désespoir tout en faisant appel aux consciences. Nous aurions aimé le rencontrer au " coin du feu " dans le village d’Evisa ou au " bar du coin " à Ajaccio.

    Nous remercions Laure Quattrini-Ceccaldi et feue Margrethe Jensen, veuve d’Henri Ceccaldi, pour nous avoir remis les photocopies des articles écrits par Henri Ceccaldi dans la période de 1954 à 1960. Nous en ferons bon usage dabs ce blog.

     

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