• La corse altitude d'Henri la plume

    Henri Ceccaldi est décédé le 24 février 1961 à l’âge de 49 ans. Après sa mort, les épitaphes furent élogieuses. " C’était un homme qui avait son panache et son originalité qui le distinguait du commun. Massif, solide comme un roc. Une paisible gravité reposait sur son visage, cette gravité qui vient d’une vie intérieure intense et d’un travail spirituel incessant. Derrière les lunettes, ‘d’étranges prunelles, larges et polies comme des cailloux, ne laissaient rien transparaître. Il parle d’une voix douce avec l’assurance que donne une longue habitude du maniement des idées. C’était aussi un écrivain plein de fantaisie et de verve, capable d’une soudaine tendresse pour une injustice réparée, mais opposant systématique contre la mégalomanie, l’inconscience et les forbans qui se parent du masque du patriotisme et de la vertu pour mieux vous persécuter et vous démolir. "

    Henri Ceccaldi signait ses articles sous le pseudonyme de Diogène. Il le faisait sans agressivité. Il connaissait la valeur des mots. C’est aussi pour cela qu’on le surnommait " Henri la plume " au sein d’un trio d’amis qui comptait Henri le pinceau et Henri la Pendule. En quelques phrases et souvent en versifiant, il fustigeait inlassablement les fossoyeurs de la Corse. Il parlait de la désertification et de l’incurie du pouvoir central, mais aussi des bassesses humaines dont la toponymie n’écarte pas l’Île.

    Dans ses billets quotidiens, Henri Ceccaldi croquait, avec un bel esprit, les problèmes insulaires. Il a écrit sous d’autres pseudonymes : " Ad Jaceo " "L’écouteur " et " Mathieu Henri ", mais aussi sous sa véritable identité. Après la Résistance, il avait débuté comme rédacteur en chef du journal " La quatrième République ". Lorsque, en dernier lieu, il a occupé les fonctions de rédacteur à la Direction des services agricoles de la Corse, Diogène a continué à alimenter sa chronique dans le journal corse " L’Informateur ".

    Notre Diogène insulaire s’était impliqué dans la culture corse. En 1951, il avait créé l’association culturelle et sportive " Altitudes ". En Août 1957, dans son village " Evisa ", où résidait le poète Minicale et Mathieu Ceccaldi ( auteur d’un dictionnaire de la "lingua nostrale" et d’un anthologie de la littérature corse*), sont venus des quatre coins de la Corse les poètes et improvisateurs célèbres comme Carulu Giovoni, Leca du u Furcatu, Julien Mattei de Croce, Simonu d’Aulle, Dominique Marfisi ( auteur-compositeur d’U caporale, Ma Cosa c’è ) , Sampetracciu, U Merlu d’Aiacciu, Iannettu Nottini ( auteur des " Ficca-Ficca " et " A Pulitica ") , Cesaru di l’Aquale. L’actrice Madeleine Robinson et l’acteur Daniel Ceccaldi participèrent à ce festival, qui connut trois éditions (1956,1957 et 1958), fut un des derniers à rassembler les poètes et les représentants de la culture orale corse.

    Si des intellectuels insulaires sont à l’origine du Riacquistu dans les années 1970, il ne faudrait pas oublier ceux qui les ont précédés dans cette voie et, par ses initiatives, Henri Ceccaldi en fait partie. La plupart sont morts. Ils étaient présents à ce premier festival de la langue et de la chanson corse, qui a donné lieu à des débats sur la préservation de la " lingua nostrale " et qui s’est renouvelé jusqu’en 1958. Il aura fallu un quart de siècle pour arriver, en 1973, à ce qu’ils souhaitaient déjà : l’enseignement du corse autorisé par la loi Deixonne, déjà votée en 1951 en faveur d’autres langues dites régionales.

    Henri Ceccaldi était  le Président du comité de réception de ce grand festival de la langue et de la chanson corses. Le 5 septembre 1957, dans un entretien avec Pascal Bontempi, il avait le projet d’organiser un festival d’art dramatique méditerranéen. Il déclarait alors : " La Corse, hélas ! manque de spectacles de qualité (les villages surtout). Sur le continent, toutes les villes de province ont la chance d’accueillir les grandes tournées théâtrales ; elles ont ainsi l’occasion d’applaudir nos prestigieuses vedettes de la scène et de l’écran. Ces mêmes comédiens ne viennent en Corse que pour y passer leurs vacances. Or, il est admis que les populations de l’île savent apprécier, avec une compréhension toute latine d’ailleurs, les manifestations artistiques de valeur réelle. 

    Henri Ceccaldi reste lui-même l’auteur d’une farce électorale " U votu di Cirottu " (Le vote de l’électeur) qui a été créée le 29 mai 1956 à l’Opéra de Marseille par le groupe folklorique " A sirinnata ajaccina ", puis fut rejouée en Corse.

    Comme d’autres Corses qui ont pourtant œuvré pour l’île, Henri Ceccaldi , alias Diogène, ne figure pas dans le dictionnaire historique de la Corse édité chez Albiana sous la direction d’Antoine Laurent Serpentini. Il fait partie des oublis sans doute. La preuve que ceux qui prennent en charge la mémoire d’un peuple ne le font pas de façon exhaustive. J’espère que leur mémoire n’est pas sélective. Henri Ceccaldi pourrait être un exemple pour les jeunes journalistes insulaires. Diogène, sans décoration mais avec sagesse, était un opposant permanent. Il dénonçait, avec ses mots scandés ou pas, les petits et les grands scandales insulaires. " Un chroniqueur plein d’esprit, alliant la finesse du détail à un robuste bon sens " écrivait un confrère dans une épitaphe. Certains de ses articles publiés dans l’Informateur, ont encore une résonance dans l’actualité et mériteraient d’être à nouveau publiés. Nous livrons, dans ce blog, quelques bribes du talent d’Henri la plume. Il savait que les mots sont à la fois des cadeaux et des armes.

    Mathieu, Henri, Antoine Ceccaldi (son premier prénom était Mathieu) est né le 25 avril 1912 à Evisa. Il était l’héritier direct d’une littérature orale. Son père était poète ainsi que sa mère qui savait faire chanter les mots. Elle survécut à son mari et ses trois enfants. Elle improvisait des Chjam’è rispondi avec ses morts toujours présents dans sa pensée. Encore vivante, elle était tous les jours avec eux. La compagne d'Henri, Margrethe Jansen, est partie le 29 mai 2011 à l’âge de 91 ans. 

    L'identité d'Henri la plume, elle est d’abord dans son nom " Ceccaldi " qui ouvre à une généalogie et renvoie à un groupe, à une lignée, aux villages d’Evisa et de Partinello, mais aussi à une ethnie, c’est-à-dire à un ensemble d’individus liés par une communauté de langue et de culture (et non pas à des caractères anatomiques). Ces critères ont dû le pousser à s’intéresser d’abord à cette culture corse et permettre sans doute d’identifier des signes culturels dans sa façon de penser, dans son comportement et dans ses rapports avec les autres. Est-ce dite qu’être corse, pour lui, c’était correspondre à un modèle ? Nullement ! Henri Ceccaldi avait une forte personnalité. Tous ceux qui l’ont connu en témoignent. 

    Si on se réfère à la communauté corse, elle a toujours comporté un grand nombre de cas individuels, de personnages marginaux et souvent talentueux dans différents domaines. Comment cette diversité a pu exister ? C’est sans doute que l’identité véritable est à la fois différence et unité, variation et permanence. Elle se construit en combinant identification et différenciation. Aujourd’hui, hors de la communauté villageoise, les cadres de référence se sont brouillés notamment par l’émigration et le tourisme. Henri Ceccaldi se refusait à une identification rigide, sectaire, voire maniaque. Sa Corsité ne pouvait se limiter à des incantations et des idées reçues par complaisance passéiste.

    Le fait corse, c’est l’insularité et la résistance d’une culture à plusieurs vagues de conquérants. La Corse a une langue et une histoire préhistorique. Elle existait avant d’être latinisée. Ceux qui ont fait du latin ont peut-être traduit des textes de Sénèque et de Tite-Live sur cette île difficile à dominer. La résistance, comme d’autres Corses, Henri Ceccaldi l’avait vécue pendant la deuxième guerre mondiale. Elle est ancienne et s’est aussi exercée contre la France qui, rappelons l’Histoire, a acheté la Corse avec ses habitants soumis par la force guerrière.

    La Corsité est un fort enracinement. Elle s’explique par l’insularité, la coexistence d’une histoire et d’une culture anciennes. Quant à la filiation, les succès de la généalogie auprès des Corses démontrent le respect qu’ils ont pour leur passé humain.

    La Corsitude, aujourd’hui encore, c’est aussi être désigné comme tel avec des préjugés fantasmés (dans des évaluations d’embauche, on peut trouver sur les fiches de candidats insulaires l’observation " corse attitude "). Cela ouvre à un sentiment de solidarité dont Henri Ceccaldi ne s’est jamais départi.

    Connais-tu la Corse ? " est le titre d’un ouvrage de Petru Rocca avec, en illustrations, des aquarelles de R.G Gautier et des cartes dressées par Petru Ciavatti. Diogène le conseillait dans un de ses articles. Petru Rocca a dirigé le premier parti ouvertement autonomiste, issu en 1927 du Partitu Corsu d’Azione. Mais, en ce qui me concerne, c’est en lisant les articles de Diogène que j’ai appris à mieux connaître la Corse mystifiée, et par mystification, entendons toutes les dérives extra et intramuros que l’île a connues ou subies. Dans l’un de ses derniers écrits en date du 12 Septembre 1960, Henri Ceccaldi disait : " Un séjour prolongé à la montagne m’a permis de relire " en toute sérénité ", comme dit l’autre, des vieux journaux et revues insulaires d’avant et après les 2 guerres : rien n’a changé dans notre actualité corse. Dans un journal de 1922, par exemple, un politicien fait un long exposé sur l’urgence du relèvement agricole et économique de la Corse. Dans une revue spécialisée de 1930, le tourisme et l’équipement hôtelier sont des " nécessités vitales " pour notre département. La plupart des articles affirment que la Corse " se meurt ", qu’elle est " abandonnée ", que des mesures " énergiques " s’imposent. Et nous arrivons ainsi à l’automne 1960. J’avoue qu’il est difficile de faire preuve d’originalité dans l’exploitation des sujets de mécontentement. Aussi je me propose, dans mes prochaines chroniques, de dire tout le bien que je pense des choses qui vont mal. " Il n’a pas assisté à l’évolution de la Corse depuis les années 1960 dont il aurait été un témoin attentif car, dans ses écrits, on retrouve les germes de cette évolution. Il n’a donc pas pu commenter les plans d’actions, les schémas d’aménagement et de développement continuant à vouloir faire de la Corse un parc d’attraction touristique et débouchant sur les raisins de la colère d’Aléria en août 1975. Alors que les nombres des touristes et des résidences secondaires se sont accrus, le mouvement d’émigration des Corses n’a pas été enrayé.

    Lorsque le journal " L’informateur " fit peau neuve pour devenir l’hebdomadaire " L’informateur corse ", Henri Ceccaldi fut cité parmi les grands absents aux côtés d’autres disparus qui ont participé à la vie du journal.
    La corse altitude d'Henri la plume  

    Des journalistes corses regrettaient ou dénonçaient, après la guerre de 1939-45, la diabolisation de la Corse et la politique continentale de type colonial, relayée par la complicité de certains élus qui pratiquaient la brosse à reluire. A l’époque, quatre grands titres de Journaux couvraient l'île : " le Journal de la Corse" à Ajaccio, "L’Informateur " et "Le Petit Bastiais" à Bastia , enfin le "Patriote" représentants les communistes. A ceux-là, s'ajoute l'hebdomadaire dominical du parti communiste "Terre Corse". Il faut aussi citer " U Muntese ", revue bilingue créée en 1955 et fermée en 1972. D’autres ont disparu avant 1940 comme Muvra, L’annu Corsu, A tramuntana, l’IleL’Informateur corse existe encore, comme le Petit Bastiais et le Journal de la Corse (doyen des journaux corses puisque sa création remonte à 1817).

    Henri Ceccaldi a toujours écrit comme l’exigeait son origine. A l’expression "Corse attitude ", nous préférons, en ce qui le concerne, celle de " corse a(l)titude ". Altitude comme le nom de l’association qu’il avait créée, car Diogène savait en toute chose prendre de la hauteur. Il faisait preuve d’une réflexion marquée au " coin " du bon sens. Il savait aussi prendre de la distance avec la dramaturgie corse, en jouant avec talent d’un autre atavisme insulaire : l’humour. Il s’agit d’un humour qui sauve du désespoir tout en faisant appel aux consciences. Nous aurions aimé le rencontrer au " coin du feu " dans le village d’Evisa ou au " bar du coin " à Ajaccio.

    Le 22 février 1961, Henri la plume a quitté son coin de Diogène et pris éternellement de l’altitude. La presse corse lui a rendu hommage à travers des articles dont nous publions quelques exemplaires …

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